30 octobre 2009

Macau d'Antoine Volodine



Le dernier livre d'Antoine Volodine, mon grand écrivain français, cet homme mystérieux aux nombreux noms, est en librairie. Il faut lire Songes de Mevlido, paru en 2007, ce chef-d'oeuvre total. Il faut lire Avec les moines soldats, paru en 2008, sous le pseudonyme de Lutz Bassmann, autre grand livre.

Antoine Volodine est ce qui s'écrit de plus ambitieux en France, actuellement.

Voici son nouveau livre, Macau, un petit livre, un espace de repos, un objet auquel il tient sans doute, alors traitons-le avec respect. Mais disons-le franchement, avec la même égalité, c'est une fiction mineure. J'attends, alors, le prochain livre avec empressement, parce que je guettais celui-ci depuis plusieurs mois avec l'avidité de la passion. Moi, et aussi plusieurs activistes de rencontre, qui parce qu'ils connaissent mes origines françaises imaginent que je connais personnellement tout le monde. Non, je n'ai jamais pu rencontrer Antoine Volodine, trop secret, sans doutes n'a-t-il même pas remarqué mes demandes de rendez-vous.

Les activistes savent à quel point Sonia Wolguelane est étourdissante, nous avons tous hâte de lire ses nouvelles aventures.

Nous attendons.
Nous attendons.
Nous attendons.

En attendant, un extrait de Macau, ce qui n'est déjà pas si mal :

« A force de ne vouloir voir que les restes, ton territoire se rétrécit, et un jour tu te rends compte que tu ne te promènes plus que dans les allées horribles qui séparent les arrières des petits immeubles du port intérieur. Tu ne vas plus dans les ruelles, ou plutôt tu les parcours comme un simple début prometteur de chemin, jusqu’au moment où tu peux t’enfoncer entre les murs, dans ces canyons répugnants, surchargés de climatiseurs rouillés, de tuyaux infâmes et de déchets. Tu ne cherches plus rien, tu ne remues plus que des ombres déprimées de souvenirs, tu ne revisites plus la ville dans laquelle tu as vécu, dans laquelle tu as aimé et dans laquelle tu as connu les peurs et les passions déglinguées de l’exil. Tu ne scrutes plus en toi l’écho des témoignages, non, tu es à présent une forme animale qui marche sans but dans un paysage de couloirs sales. Tu n’es plus exactement à Macau, dans les quartiers du port intérieur, Patane, Barra, tu es plutôt entré dans une abjection imaginaire, dans un lieu où les vivants ne circulent pas et qui ne correspond à aucune histoire personnelle, et qui ne t’apporte rien, sinon une sensation de dégoût, qui te dégoûte pour rien. On a envie de te dire de réagir, on voudrait t’inciter à t’éloigner, à tout faire maintenant pour ne pas devenir peu à peu une créature à l’envergure mentale limitée, aux obsessions voisines de celles qui caractérisent les cafards. »

24 octobre 2009

"Stanislas Petrov nous a sauvé la vie" Stanislas Kirski

Stanislas Kirski m'a dit : "Mais dans mes rêves, je vois des missiles décoller, dans toute leur puissance. Le 26 septembre 1983. Je suis Stanislas. Oui, c’est mon prénom. Je suis ce Lieutenant-Colonel. Je vois cinq missiles lancés par les américains. C’est le signal que je reçois du satellite de mon système politico-économique. Il s’agit d’un satellite fiable. En raison de sa provenance, se sont mes camarades technoscientifiques qui l’ont construit. Ma doctrine est fiable. En 1983, je ne connais pas l’opulence du soldat américain. Je ne conduits pas un pick-up, je ne baise pas une américaine aux seins opulents, je ne dispose pas de la possibilité de manger la viande de bovins nourris par les prémices de maïs transgénique de la multinationale Monsento.


J’ai beaucoup de logique en moi. S’il s’agissait d’une véritable attaque de ces salauds de militaires américains qui bouffent de la viande grasse d’américaines teintées en blondes, le nombre d’engins serait beaucoup plus élevé.

Je n’ai pas été torturé. Mon double soviétique qui n’est pas moi, je le sais, j’ai déclenché l’alerte, j’ai tué définitivement toute possibilité de civilisation.

Stanislas Petrov n’a pas été torturé. Il a seulement été mis en retraite anticipé. Anticipant les retraites contraintes dans les industries de K ?

La torture était depuis longtemps une pratique abandonnée. Andropov, justement, y est pour beaucoup.

Nous savons. Nous le savons. L’alarme a été provoquée par un accroissement de l’activité solaire. Cela n’avait pas été intégré dans le logiciel du détecteur.

Les gouvernements des deux empires jamais n’auraient voulu cela. La logique oui. La logique est si puissante parfois. La logique militaire. La logique humaine de Stanislas Petrov, issu d’une logique militaire, qui plus est communiste, oui même la logique à la fois militaire et communiste, inconcevable pour toi de maintenant, c’est ce qui a permis que mon rêve ne soit pas vrai.

Parce que moi, je ne suis ni militaire ni communiste. C’est sans doute pour cela, me dit mon psychiatre américain, que j’aurais très certainement, par mon manque de courage, par la lâcheté de mon mode de vie, déclenché la guerre fatale. La guerre mondiale de trop.

Parfois, la viande d’une grosse américaine trop bien nourrit…

Il y a eu autant d’héros américains. Autant de cas.

Autant de K.

Tu crois très certainement, que c’est le 26 septembre que je me suis retrouvé dans ce bunker ultra-militarisé, à deux portes du clown Ronald Mc Donald. Amateur de Hamburger. Si R. Reagan était si proche de moi, ce fut au tout début du mois de novembre. L’OTAN entame un exercice.

« Able Archer 83 ».

Une opération insensée qui consiste à vérifier le bon fonctionnement des procédures de contrôle et de commandement et de communication qui permettraient l’utilisation des armes nucléaires. Rien de moins. Tout à fait banal. Chacun s’amuse avec ce qu’il a sous la main.

Ce n’était pas le bon moment.

La date était mal choisie.

Or il s’agit de simulation.

Et chacun opère des simulations. C’est d’ailleurs de simulations que produisent les rêves.

Or, les militaires soviétiques pensent que si les USA devaient provoquer une attaque surprise, se serait pendant un exercice de simulation de l’OTAN. Une fausse simulation donc.

Capable de dissimuler des préparatifs jusqu’au dernier moment.

La grande crise de 1983 ou la fin du monde sans que personne ne le sache.

Alerte maximale de certaines forces stratégiques communistes.

Tu imagines le sang froid.

Si la logique informatique, si la technique et le cerveau des logiques techniques avait pris le dessus… Je te le dis, je le sais maintenant, seuls les reflexes humains nous ont préservés du pire. Oui, le propre de l’homme c’est de ne pas avoir, parfois, appuyé sur un bouton déclencheur, et parfois à une échelle très fine, celle d’un pilote d’avion, oui, à ces moments terribles, dans ce début du mois de novembre 1983, un pilote communiste avait au bout de son doigt le contrôle total. Au bout de son doigt, la capacité de ses missiles, plusieurs, et dedans les bombes H.

Un seul doigt.

Celui d’un militaire communiste."

23 octobre 2009

1983, année du risque atomique

Je reprends, jusqu'à la fin de la semaine, des extraits des longs entretiens que j'ai eu l'occasion d'avoir avec Stanislas Kirski, l'année dernière. Il est mort désormais et son nom peut enfin être prononcé.

"Mes rêves ne sont pas là, mes rêves ont oublié jusqu’à cette date, mes rêves ne se souviennent que de l’automne 1983, j’étais dans ce bunker, cette fois ils ont faillis m’atomiser mes camarades, m’envoyer un gros missile au plutonium dans le cul, et cette fois j’y ai crus plus que cette tenaille qui allait me faire sortir mes dents une à une.
Si j’avais été Stanislas Petrov, aurais-je transmis les informations données par les détecteurs ?

Aurais-je été torturé si je ne l’avais pas fait ?

Stanislas Petrov est un homme. C’est certain. Il appartient à l’espèce humaine. S’est-il sentit plus homme de l’humanité universel ou homme communiste ?

Comment a-t-il pu désobéir ?

Le 26 septembre 1983, le satellite OKO.

OKO.

Le symbole « O » entoure ce K que ne saurait voir l’URSS. Le communisme comme alternative de l’expérience politico-économique à K.

OKO est un satellite d’observation.

Il signale à trois reprises le lancement de missiles intercontinentaux américains.

Tu fais quoi ?

Va-t-on me torturer si se sont des vrais ?

Je suis Stanislas. J’ai deux filles.

Il a deux filles.

Comme moi, il se nomme Stanislas.

Je suis lieutenant-colonel. Si je donne les informations des détecteurs, à tout moment la logique militaire de mon pays, la logique de mon environnement quotidien, et l’américain aurait fait de même, oui, le militaire américain aurait fait de même, oui, l’URSS aurait pu déclencher une attaque nucléaire contre mon nouveau pays qui ne songerait jamais à me torturer. Aucune de mes erreurs prédictives n’auraient donné des arguments en faveur des hommes patibulaires et manipulateurs des services spéciaux américains pour me torturer dans cette pièce si sordide pour vendre mon amour. A part ce connard de McCarthy, mais quand je suis arrivé il n’était plus qu’un alcoolique minable en train de crever du foie. Même en 1989, lorsque je prédisais avec fougue, et que tous m’écoutaient : « continuez la guerre totale des étoiles ! Je ne leur donne pas trente ans ! » Six mois après l’empire soviétique se trouait de partout. Fin de l’expérience. Game over. Pendant une semaine je ne dessaoulais pas. Vodka sur vodka. En une semaine j’ai pu faire dix cirrhoses du foie.

Là fois où le monde a faillit disparaître. Le 26 septembre 1983. Et il y a eu d’autres cas, des dates qui devraient être fêtées, des cas où une seule personne a eu un rôle pour l’humanité entière, un personne qui n’était ni Reagan ni Andropov. Une personne qui n’était président de rien.

Un militaire.

J’adore les militaires. Se sont eux qui ont sauvé le monde. Les seuls hommes capables de faire exploser tous les pays et ne l’ayant pas fait. Des hommes remarquables.

Le militaire est ce métier le plus beau du monde, la grandeur de l’espèce humaine, quand ils avaient les moyens de tout exploser, ils ne l’ont pas fait. Et vous voulez les accusez d’un crime insensé parce qu’ils auraient dissimulé des informations à propos des extraterrestres ? Mais les seuls héros de l’histoire humaine, se sont les militaires !

Stanislas Petrov est l’officier de garde. Il pense avec ses rêves. Ses rêves lui disent que les signaux de OKO sont dus à un dysfonctionnement du système de détection du satellite. Il ne déclenche pas la procédure d’alarme.

Il est exceptionnel qu’un homme endoctriné ait joué un rôle aussi important dans l’histoire de l’humanité en n’appliquant pas les consignes pavloviennes qui lui ont été inculquées.

Parce que la doctrine nucléaire soviétique était à cette époque là précisément la frappe sur avertissement.

Ce qui signifie le départ de toutes les fusées préventives.

La prévention signifie la mort de l’autre avant sa propre mort.

La prévention signifie avant même d’avoir reçu une explosion sur mon territoire j’envoie mes missiles sur l’autre territoire. Des missiles devant agir préventivement.

Bref. Sensées exploser à quelques minutes d’écart.

Et je sens dans mes rêves, agissant au même niveau que des fantasmes, c’est ce que me dit mon psychiatre américain, une profession réprouvée par mes descendants communistes, mais Petrova n’a pas eu le temps de m’en donner, Petrova, je ne lui ai pas donné la chance de m’en faire, Petrova, avais-tu dans ton ventre le corps de ma descendance ?

Je me pose cette question."

22 octobre 2009

La confession de Stanislas Kirski

J'ai été malade. Quelque chose qui prend à la gorge. Je ne me replonge que maintenant dans la longue confession de Stanislas Kirski. Je réécoute sa voix, sa voix de vieux, sa voix de cancéreux, elle me touche, j'ai ma gorge qui se resserre. Et lorsque je retranscris, je me souviens de l'émotion, il était déchiré, Stanislas, il était déchirant.


"Pourtant, je l’ai souhaité cette chute.
Tu ne peux pas savoir à quel point je l’ai souhaité cette fin. J’avais des raisons très personnelles. Je voulais les voir crever ! Tous ! Sale peuple de merde. Je voulais…

Tous les experts militaires, toutes les agences d’espionnage et de prédictions venaient me voir, ils me payaient cher, très cher, j’étais adulé, parce que je prédisais juste, que j’étais fin, le meilleur spécialiste qu’ils disaient. J’étais devenu cet américain respectable. Je connaissais le cœur du peuple soviétique. T’ai-je dis que j’avais des raisons personnelles ?

1989 ? Aucune possibilité de transformation ! Continuer la stratégie de la guerre des étoiles. L’URSS ne lâchera rien. Enfin tout de même, la crise de Cuba c’était du pipi par rapport à 1983.

Hein ! Qui se souvient de 1983 ?

Moi, je faisais dans mon froc.

Et tous les militaires péteux du Pentagone idem. Tu comprends ? Non ! Tu ne sais pas ce qui s’est passé en 1983.

J’y étais, moi.

J’ai mis mes deux enfants américains, oui, mes deux filles, je les ai envoyé dans l’océan atlantique sur un bateau, avec l’ordre de ne jamais accoster.

Moi, j’étais un expert, très précieux, j’étais dans un bunker, entouré de militaires pétochards qui pleuraient leur mère.

Je me souviens à un point crucial de cet automne 1983. La tension qu’il y avait. Je te le dis avec la chair de poule. Le 1er septembre, un avion de Korean Airlines est abattu par un chasseur communiste. Il a pénétré par erreur dans le territoire aérien soviétique. L’erreur surtout, se fut le passager principal. Un membre du congrès. Tu imagines le problème. Les extraterrestres auraient fait moins de dégâts.

Le 26 septembre, oui, le 26 septembre 1983, le monde aurait pu s’arrêter, les bombes ont failli être lâchées, les russes auraient commencé, j’ai cette scène sans cesse dans mes rêves, je le sais, j’imagine que je suis Stanislas Petrov. Qu’aurais-je décidé à sa place ? Je pleure à chacun de mes rêves.

Si je rêve, je ne rêve que de cette scène. Je suis Stanislas Petrov. Et j’applique le règlement qui m’a été inculqué savamment. Suis-je un homme ? Suis-je ce nouvel homme communiste ? Pourquoi ai-je trahi ? Pourquoi j’ai donné le nom de mes amis ? Pourquoi la torture a cette capacité terrorisante sur moi ?

Je n’ai pas été torturé !

Tu ne le sais pas, je ne suis pas ce héros, un à un j’ai donné les noms de tous mes amis, mes amis innocents, à l’époque c’est comme si je donnais le nom de mes filles, oui, Petrova, j’ai donné le nom de mon amour éternelle. Je suis ce minable terrorisé qui sait.

Je sais à quel point la possibilité de la torture m’a fait tuer mon amour. Petrova…

Tu comprends mes raisons de les faire tous crever.

Tu comprends l’immense haine de mon destin.

Ma fuite. Ma reconversion à K.

J’aime K.

J’adore l’idole K.

L’Amérique m’a sauvé."

13 octobre 2009

Stanislas Kirski est mort

Il m'a fallut du temps, beaucoup d'astuces, de nombreux contacts pour approcher Stanislas Kirski. Cette personne de l'ombre dont le nom n'apparaît nulle part. Lentement j'ai du l'amadouer. Nos conversations prenaient à chaque fois des directions improbables. J'ai tout enregistrée, en cachette. Maintenant qu'il est mort, dans le secret, je peux retranscrire nos conversations. Elles étaient décousues, il était vieux déjà, et les confessions que parfois j'obtenais prenaient un caractère personnel. Je m'attendais à quoi ? A des secrets inconnus ? A de l'inédit ? Ai-je été déçue du coup ? Non. J'y ai trouvée des confirmations. Je vous les livre maintenant. Il s'agit d'un hommage. Je suis triste.


Stanislas Kirski : "L’expérimentation politique, cela existe, cela a déjà eu lieu. Il y en aura encore. Actuellement, nous expérimentons, même si nous n’avons pas cette impression, puisque nous sommes dedans, nous nous plaignons souvent. D’ailleurs, ce qui est expérimenté, cette fois à l’échelle du monde entier, est proprement inédit. Des prouesses, il s’agit bien de prouesses politiques, menées avec le risque le plus grand. Comment faire accepter la pauvreté par ceux-là même qui la subisse ?

Mais, effectivement, tout ceci découle d’une expérience. Il faut se rendre compte à quel point la personne humaine s’est habituée à cette épopée communiste. Et à quel point elle s’est habituée, inversement, à la chute incroyablement brutale de ce même communisme. Une habitude pour ceux n’habitant pas cette double expérience, mais il s’agissait là sans doute d’une habitude évidente. Par contre, plus inhabituelle était l’attitude des populations entière qui dans un premier temps se sont trouvées obligées à participer à cette expérience, et qui subitement, alors qu’il n’y avait pas raisons d’espérer un changement, ont du vivre sous un régime politico-économique radicalement différent. Ils s’y sont habitués avec le même dépit.

Cette question de la fin de cette épopée me touche beaucoup. J’ai peur pour mes enfants. Après soixante-dix années de tension, de désordre dans le monde du fait même de cette expérimentation, soudain finir dans un tel désastre. L’évènement fut sans aucun équivalent dans l’histoire des hommes. L’effondrement du monde soviétique correspond en bonne logique à une guerre totale, qui aurait vu ce vaste territoire exsangue. Or, même la longue attaque nazi sur son territoire, la poussant presque à la défaite, n’a pas eu raison de cette expérience.

Parce que c’était une expérience vivante. Une expérience du vivant. Il existait cette volonté de changer l’homme. De le transformer. De le faire autre. Question de l’éduquer.

Et là, si soudain, l’URSS s’écroule. Complètement. Elle adopte le modèle économique de son pire ennemi. Il faut comprendre ce que peut signifier se retournement. Un retournement sans équivalent. Du jamais vu. Aucun empire humain n’a chuté si rapidement sans invasion extérieure. C’est incompréhensible !

Je ne comprends pas. Nous ne comprenons pas. Personne ne comprend. Et toutes les études que je mène, exclusivement sur ce sujet, n’aboutissent qu’à de vagues pistes générales. Je connais la chronologie. Je sais ce qui s’est passé. Je suis un spécialiste reconnu.

Je ne comprends pas.

Pourtant, je l’ai souhaité cette chute..."

9 octobre 2009

Bruno Latour Vs Romanciers

J'en termine ici avec ma lecture de Sur le culte moderne des dieux faitiches, de Bruno Latour, à paraître le 15 octobre.
« En joignant les deux sources étymologiques, nous appellerons faitiche la robuste certitude qui permet à la pratique de passer à l’action sans jamais croire à la différence entre construction et recueillement, immanence et transcendance.

Dès que nous commençons ainsi à considérer la pratique, sans plus nous préoccuper de choisir entre construction et vérité, toutes les activités humaines et pas seulement celles des adeptes du candomblé ou des savants de laboratoire se mettent à parler de la même passe, du même faitiche. Les romanciers ne disent-ils pas, eux aussi, qu’ils sont « emportés par leurs personnages » ? On les accuse, il est vrai, de mauvaise foi, les soumettant d’abord à la question : « Fabriquez-vous vos livres ? Etes-vous fabriqués par eux ? » Et eux de répondre, obstinément, comme les Nègres et comme Pasteur, avec l’une de ces formules admirables dont le sens risque toujours de se perdre : « Nous sommes les fils de nos œuvres. » Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’ils font de la dialectique et que le sujet s’autopositionnant dans l’objet se révèle à lui-même en s’aliénant à travers lui, car les artistes, se moquant éperdument du sujet comme de l’objet, passent justement entre les deux, sans effleurer à aucun moment ni le sujet maître de ses pensées ni l’objet aliénant. »

Bruno Latour Vs Alien

Je continue ma lecture de Sur le culte moderne des dieux faitiches, de Bruno Latour, à paraître le 15 octobre à La Découverte. Et j'y trouve de curieuses occurrences avec l'objet même de mes recherches.
« Le monde sans fétiches se peuple d’autant d’aliens que le monde des fétiches. »
Voici une phrase vraiment incroyable, d’autant que Bruno Latour lui-même appuie sur le terme aliens.
« L’inversion de l’inversion donne accès à un univers aussi instable que le monde prétendument inversé par la croyance illusoire dans les fétiches. Les antifétichistes pas plus que les « fétichistes » ne savent qui agit et qui se trompe sur l’origine de l’action, qui est maître et qui est aliéné ou possédé. »
Bruno Latour, dans le même paragraphe, relie aliens et aliéné. Il n’y a sans doute rien de fortuit ici. D’autant que deux pages plus loin peut se lire : « le penseur critique, fils des Lumières, ne cesse, on le voit, de manipuler lui aussi des invisibles ; ce grand désaliénateur multiplie les aliens. »
La question extraterrestre agit-elle sur nous comme un fétiche ? Ce lien ne m'était jamais apparu jusque là.

6 octobre 2009

Le nouveau livre de Bruno Latour en avant première




Je viens d’apprendre que le nouveau livre de Bruno Latour, celui dont je parlais il y a quelques jours, sort en librairie en France le 15 octobre. C’est un évènement. Je ne sais plus par quel cheminement il m’est arrivé, bref, je vous livre ici à nouveau des passages, ceux qui en les détournant très légèrement de leur sujet initial, en les reliant à la thématique du phénomène extraterrestre, prennent un objectif différent. C’est justement dans ce léger décalage à effectuer sur ses textes, que la pensée de Bruno Latour prend toute son ampleur.
« Comment définir un antifétichiste ? C’est celui qui accuse un autre d’être fétichiste. Quel est le contenu de cette plainte ? Le fétichiste, d’après l’accusation, se tromperait sur l’origine de la force. Il a fabriqué l’idole de ses mains, avec son propre travail humain, ses propres fantasmes humains, ses propres forces humaines, mais il attribue ce travail, ces fantasmes et ces forces à l’objet même qu’il a fabriqué. […]
Dès que l’antifétichiste dévoile l’inefficacité de l’idole, il plonge en effet dans une contradiction dont il ne se sortira plus. Au moment même où l’on veut que le fétiche ne soit rien, voilà qu’il se met à agir et à tout déplacer. Il est capable, en particulier, d’inverser l’origine de la force. Mieux encore : puisque, d’après les antifétichistes, l’effet du fétiche n’a d’efficace que si son fabricateur en ignore l’origine, il doit être capable de dissimuler totalement sa propre fabrication. Grâce au fétiche, d’un seul coup de baguette magique, son fabricateur peut se métamorphoser de manipulateur cynique en berné de bonne foi. Ainsi, bien que le fétiche ne soit rien que ce que l’homme en fait, il ajoute pourtant un petit quelque chose : il inverse l’origine de l’action, il dissimule le travail humain de manipulation, il transforme le créateur en créature. Comment nier l’efficace d’un objet capable de tant de prodiges ? »

Je me pose une question : une soucoupe volante peut-elle être considérée comme un fétiche ?
Je me pose une seconde question : usons-nous des soucoupes volantes comme d'un fétiche ?

2 octobre 2009

Les travaux de Bruno Latour (2)

Je poursuis ici la retranscription de la conversation avec ce jeune fictionnaire, il utilise les travaux de Bruno Latour pour fabriquer de la littérature :
"J’ai donc croisé des méthodes, en continuant mon résonnement, de toutes les disciplines dont je découvrais le savoir. Par exemple, j’ai croisé des méthodes venues de l’ethnographie en les appliquant à des sujets nouveaux, avec les vieilles méthodes usées de la sémiotique utilisées pour les textes de fictions, et cela pour tenter de comprendre les éléments invisibles dans les textes littéraires.
A quoi ça m’a servi ? A comprendre les principales erreurs des grands textes vis-à-vis du futur. La littérature est une discipline qui elle aussi, comme toutes les autres disciplines du savoir, doit s’inscrire dans une démarche de progrès, de mise en abîme du progrès. Et les grands textes sont ceux qui marquent comme autant d’étapes les moments clés de découvertes essentielles. Parce qu’il y a des jalons de posés, que des généalogies se forment, des textes sont devenus importants. C’est ce qui explique pourquoi ce sont eux que l’on retient, que l’on sauvegarde, que l’on utilise alors. Parce qu’il existe cette flèche du temps en direction de ce vers quoi va notre futur. Saine émulation.
A quel type de résultats cette construction m’a-t-elle conduit ? Et bien, je dois bien l’avouer, essentiellement à des résultats négatifs ! Même si ce n’est pas en soi un résultat, je pense avoir donné à la langue spéculative de Pierre Guyotat un certain nombre d’applications."

1 octobre 2009

Les travaux de Bruno Latour

J'avais rendez-vous ce matin avec un jeune fictionnaire spécialisé dans les travaux de Bruno Latour. Il applique à la littérature des méthodes nouvelles issues directement des recherches de Latour. J'ai enregistrée toute la conversation, je retranscris ici le début de ses propos :
"J’utilise des outils qui viennent de la génétique, ce qui me permet de poser des questions intermédiaires entre l’abstraction de la fabrication littéraire et l’abstraction de la conception même de la vie. Je déplace ainsi l’objet de la recherche d’une discipline de vérité scientifique travaillant sur du concret, ça marche ou ça ne marche pas, à une discipline d’investigation purement fictive sur le vivant.
Parce qu’à bien y penser, l’écart entre les disciplines terrestres est bien minime si nous le comparons au savoir inconnu d’espèces extraterrestres. Et puis, il faut ajouter que la littérature travaille elle aussi sur le vivant, que c’est même son principal matériel, le matériel fictionnel de base, celui appris dans toutes les bonnes écoles et les universités où s’apprennent les techniques de fabrication de nos bons romans.
Oui, à y regarder à la fois de plus près et de plus loin, l’analogie que j’effectue entre ces deux disciplines tient la route. Et je peux utiliser les outils de la génétique afin de les injecter dans ma discipline du savoir, celle que je connais, celle que je manipule, et je me sens de plus en plus généticien. Oui, là, je vous le dis, je suis un généticien et je crée des formes qui n’étaient pas à l’ordre du jour jusqu’ici."